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Le bachelor, une épine dans le pied des universités

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Les élèves de bachelor de Toulouse Business School. Avec quelque 1.450 inscrits dans les trois années de ce programme, l'école est celle qui en compte le plus gros effectif (Photo Christian Rivière).

Les élèves de bachelor de Toulouse Business School. Avec quelque 1.450 inscrits dans les trois années de ce programme, l’école est celle qui en compte le plus gros effectif (Photo Christian Rivière).

La montée en puissance des « bachelors », tant dans les écoles de management que dans les écoles d’ingénieurs (Arts & Métiers, Polytechnique) et même dans d’autres disciplines (hôtellerie, design…), dérange et irrite les universités. La Conférence des présidents d’université s’est même fendue récemment d’un communiqué rageur contre ces programmes, intitulé « Stop à la confusion et à la multiplication des noms de diplômes« , rappelant qu' »en France, le bachelor s’appelle la licence » et qu’inversement, « à l’international, la licence est un bachelor« . Le président de l’Union nationale des présidents d’IUT, Jean-Paul Vidal, s’inquiète lui aussi de l’essor des bachelors, qui représente « un risque pour les IUT« .

On peut comprendre cette irritation de voir se développer des formations concurrentes. D’autant que le bachelor est encore très peu réglementé en France. Et que certaines institutions privées s’emparent de ce label pour commercialiser, parfois fort cher, des formations au rabais.

En réalité, le problème n’est pas seulement d’ordre sémantique. Car le succès des bachelors, en France comme à l’étranger, ne doit rien au hasard. S’ils ne cessent de gagner du terrain, c’est que ces programmes, certes positionnés à bac + 3 comme la licence (et parfois à bac + 4), offrent un contenu que la licence n’offre pas. Bref, ils occupent un créneau laissé vacant par les universités et leur licence « générale ».

Depuis de nombreuses années, en effet, la licence est devenue avant tout un passage obligé vers le master. Elle ne permet que rarement d’accéder à un emploi – pour une raison simple : aux yeux des recruteurs, elle est « dévalorisée ». Le cursus licence, en effet, ne prévoit en général que peu de stages, et souvent pas du tout. Il ne comporte quasiment aucune préparation à la vie active et à l’insertion professionnelle – normal, il n’est pas conçu pour cela. Son ouverture sur l’international est limitée. Certes, il s’agit d’une formation de qualité, mais bien trop théorique, trop « académique », et pour tout dire, souvent déconnectée du réel.

Résultat, la plupart des étudiants qui s’inscrivent à l’université s’embarquent pour un cursus qui doit les mener au master 2, sans espoir d’étape intermédiaire. Autrement dit, ils « en prennent pour cinq ans » au mieux – et bien souvent six, compte tenu du taux d’échec en 1re année de licence. C’est long, beaucoup trop long. Et même décourageant, quand on a 18 ans…

Un groupe d'élèves de la promotion 2015 du bachelor EGC, proposé par les CCI.

Un groupe d’élèves de la promotion 2015 du bachelor du réseau EGC, proposé par les CCI.

Ce n’est pas le seul inconvénient de ce dispositif français, appuyé sur l’architecture LMD. Car quand le titulaire d’un M2 débarque enfin sur le marché du travail, à 23 ou 24 ans, il est logiquement bien plus exigeant en matière de rémunération qu’il ne l’aurait été 2 ans plus tôt (il a « perdu » deux années de rémunération). Il est aussi plus âgé, plus sûr de lui, et donc moins adaptable, et aussi moins mobile (il a commencé à vivre en couple, à fonder une famille…). Et il est souvent persuadé que son diplôme doit lui ouvrir d’emblée l’accès à des responsabilités élevées dans l’entreprise. Or bien souvent, il doit déchanter. Là encore, le culte du master est source de bien des déceptions.

Car dans cette période de croissance anémiée et de chômage de masse, les entreprises n’ont pas forcément des besoins massifs de diplômés à bac + 5. Résultat, soit elles embauchent des jeunes surqualifiés pour le poste qu’ils occuperont, mais payés bien en dessous de ce qu’ils espéraient et qui seront donc frustrés ; soit elles ne les embauchent pas, leur préférant des jeunes moins diplômés, mais moins exigeants et plus « malléables »… On peut, bien sûr, critiquer cette attitude des employeurs, mais elle n’a rien de surprenant ni d’illogique.

Quant à la licence professionnelle, elle connaît, certes, un grand succès depuis plusieurs années. Mais elle rencontre aussi ses limites : elle ne répond qu’en partie aux besoins, car il s’agit d’une formation trop spécialisée.

Les universités et la CPU devraient donc s’attacher, avec les pouvoirs publics, à réformer radicalement la licence. En faire un vrai diplôme polyvalent, concret, ouvert sur l’international, permettant une entrée sur le marché de l’emploi après trois années d’études. Ce chantier de la licence est amorcé. Mais il faut aller plus vite. Dans son communiqué, la CPU souligne d’ailleurs l’urgence d’une large concertation « afin de définir une politique cohérente pour le niveau bac + 3« . Après tout, les diplômés des IUT, les titulaires de BTS n’ont en général guère de problèmes pour trouver un emploi.

Surtout, cette entrée dans la vie professionnelle à 20 ou 21 ans n’interdirait pas, comme cela se pratique couramment dans les pays anglo-saxons, un retour vers les études quelques années plus tard, pour accéder à un master, voire à un doctorat.

Mais cela supposerait, il est vrai, une refonte en profondeur de l’architecture et de la philosophie de notre système d’enseignement supérieur. Car toucher à la licence, en faire un vrai diplôme reconnu et « monnayable » sur le marché de l’emploi, c’est aussi remettre en cause la préférence française pour les études théoriques longues, et le culte du diplôme, bien français lui aussi. Une révolution culturelle, donc. Mais si ce changement majeur n’est pas engagé rapidement, il y a de fortes chances pour que la vogue du bachelor se poursuive et s’amplifie. Au grand dam des universités.


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